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Introduction à « Vivre Sans Tête » – Wei Wu Wei – VOLTE & ESPACE


Introduction à « Vivre Sans Tête » – Wei Wu Wei

Ce texte d’introduction au « On Having No Head » de D. Harding, édité par la Buddhist Society de Londres, ne figure pas dans l’édition française, « Vivre sans tête ». En raison de sa rigueur nuancée et de la notoriété de son auteur, il nous a semblé que ce document méritait la publication. (Traduction : Jean Couvrin)

Wei Wu Wei , René Fouéré, Robert Linssen, Francine Fouéré, Natacha (épouse de Wei Wu Wei ), Douglas Harding

&

« Le conditionnement est tel que certains d’entre nous ont de la peine à croire que Douglas Harding entend nous faire prendre à la lettre ce qu’il nous dit, et cela en dépit de son insistance. (0)

Pourtant, ce qu’il exprime, et ses citations le prouvent, tous les grands Maîtres l’ont enseigné à leurs contemporains, chacun à sa propre manière, dans le contexte et l’esprit de son temps.¹

Dans ce petit livre, cela nous est dit à nous dans notre propre génie, d’une façon amusante et personnelle, à tel point que peut-être nous trouvons difficile de croire qu’une si bonne lecture doive être prise au sérieux.²

Il partage son expérience personnelle, il la décrit, et il nous dit aussi bien que possible comment nous pouvons avoir cette expérience, nous aussi. Mais je crois qu’il veut s’en remettre à nous, que nous voyions par nous-même en quoi elle consiste.³

Pour éclaircir ce qui se passe effectivement dans cette expérience, accordons-lui une participation attentive et honnête. Alors peut-être éprouverons-nous moins de timidité et d’incrédulité. Quoi qu’il en soit, peut-être m’accordera-t-il d’émettre quelques suggestions interprétatives ? (4)

Commençons par remarquer ce qu’il nous demande. Il nous demande de voir comme de petits enfants, et comme voient les gens à l’esprit simple. Jésus et de nombreux autres Maîtres à la vision intérieure la plus haute n’ont-ils pas dit avec insistance que nous devons en arriver là, pour retrouver notre nature originelle, notre être vrai. (5)

Par exemple, il nous demanderait de voir un bateau de guerre à l’horizon tel qu’en fait nous le voyons vraiment : rien d’autre que ce qu’un très jeune enfant prendrait pour un jouet, une chose qu’un adulte pourrait perdre dans la poche de son gilet. Ce bateau, il nous invite à le voir tel qu’il est donné, sans que nous allions imaginer de quoi il pourrait avoir l’air à une distance de 50 yards. De plus, il nous ferait remarquer que si nous regardions sa coque à quelques pouces de distance, nous ne verrions aucun objet reconnaissable du tout. (6)

Qu’est-ce que ceci implique ? Que nous devrions percevoir sans former de concepts à propos de ce que nous voyons. (7) N’était-ce pas le cas pour les dix moines de l’anecdote fameuse dans laquelle chacun des moines arrivait seulement à en compter neuf, si bien qu’ils durent supposer que l’un d’entre eux s’était noyé. Mais c’étaient des hommes de grande maturité, si mûrs qu’ils étaient prêts pour l’éveil à l’illumination. Lorsqu’ils comprirent que chacun d’eux était le dixième homme, ils s’éveillèrent tous : le dixième homme était l’homme absent qui était en train de regarder. Chaque moine avait reconnu sa nature originelle – la nature originelle de chacun d’entre nous. (8)

Aussi longtemps que nous conceptualisons chaque perception, nous sommes identifiés à cette propension de l’esprit qui se divise en sujet et objet, laquelle est nommée dualisme ou relativité. Et divisés de la sorte, nous ne pouvons jamais espérer apercevoir ce que nous sommes en tant qu’esprit indivis, puisqu’il nous est impossible de percevoir ce qui est en train de percevoir, ce que nous sommes. Nous ne pouvons pas voir notre tête, devons-nous pour autant en imaginer une ? Qui donc voit, et à partir d’où voit-il ? Nous voyons, et cela signifie tout simplement : « il y a vision ». Et ce qui est vu est ICI, toujours Ici et toujours Maintenant. Le « Je » conceptualisé (moi) s’est évanoui. Là où il y avait une « tête », il y a simplement perception, ni proche ni lointaine.

L’univers est conceptuel. La conceptualisation est la division de l’esprit, de l’esprit qui est indivis, que nous sommes, mais qui n’est objectivement comparable à aucune « chose ». Divisé de la sorte en sujet et objet, l’élément subjectif devient un « concept-je » et se localise dans une « tête » conceptuelle.

Quand la « tête » disparaît, il disparaît en même temps – et tous les objets sont ce que nous sommes : des Je-sous-d’autres-apparences. Telle est la porte sans porte qui conduit à l’anatura-samyak-sambhodi, la tête sans tête qui voit ce qui apparaît et sait qu’elle ne peut pas apparaître elle-même – puisqu’elle ne peut pas se voir elle-même. Alors, là où vous pensiez avoir une tête, conceptuellement, se trouve l’univers.

Ce dernier paragraphe essaie-t-il de dire trop de choses, trop simplement ? Peut-être, mais veuillez me pardonner. Sans doute, pour une dissertation métaphysique, ce n’est pas la place indiquée, à supposer qu’il y ait jamais une place pour essayer de dire en termes relatifs ce qui est exempt de relativité. Mais nous ne visions rien d’autre qu’une compréhension de ce petit livre au cours duquel on vous dit que Vivre sans tête, c’est percevoir sans conceptualiser ma perception, et que nous devons faire cela pour arrêter, ne fusse qu’une seconde, la division de notre esprit. Car ce que nous appelons « asservissement » est très précisément l’asservissement à la conceptualisation en général et à la conceptualisation de l’espace-temps en particulier. Ceci n’implique évidemment pas que nous ne devons plus jamais nous servir de notre faculté de conceptualiser. Les grands Maîtres raisonnaient aussi bien que nous le faisons maintenant – en fait, juste un peu mieux peut-être ! Ils utilisaient cette faculté au moment où ils l’estimaient nécessaire, sans être « asservis » par elle comme nous le sommes, et ils ne vivaient plus sous l’emprise « naturelle » et inévitable des concepts.

Comme objet, je parais avoir une tête, autant que – si c’est là tant de chose – je parais avoir un pied, Mais en tant que ce-que-je-suis, il me serait impossible d’avoir une « tête » – ni un « pied » d’ailleurs. Tandis que nous observons qu’objectivement nous avons peut-être un pied dans notre champ visuel, Douglas Harding nous souhaite de remarquer que notre tête, en tous cas, est entièrement conceptuelle. En admettant que chacun d’entre nous « parait » avoir l’une et l’autre chose, nous devenons conscients du fait qu’il est impossible qu’aucun d’entre nous ait une tête en tant qu’être.

La méthode qu’il propose et qu’il met en pratique avec un succès éclatant est moins l’abolition métaphysique de la conceptualisation en tant que telle, que la déconceptualisation spécifiquement appliquée à la représentation conceptuelle de notre centre-tête personnel – appliquée à cet-ici-et-maintenant, au lieu de ma présence, lequel s’impose dès lors par son vide complet. Tout le reste devrait découler de cette réorientation personnelle.

Qu’on me permette toutefois de souligner un point : au concept-tête, gardons-nous de substituer, par voie d’implication, un concept « non tête » ! En aucun cas, je ne puis avoir ou ne pas avoir de « tête », parce qu’il n’y a pas de « Je » objectif possédant ou ne possédant pas une chose quelle qu’elle soit. De même, seul un « soi » conceptuel peut connaître ou ne pas connaître quelque chose d’ “autre”.

C’est l’esprit fragmenté qui conçoit, mais pour l’esprit dans sa totalité, la perception est une conscience sans phénoménalité positive ou négative. Lorsque survient la splendeur finale, illuminant une fois pour toutes le champ total de la vision, alors une connaissance ultime me révèlera que mon absence en tant que « moi » est ma présence en tant que Je. »

Wei Wu Wei

(Revue Voir – No  6 – Eté 1982)

Cordialement

 

Commentaires en cours, patience. Relisez « Vivre Sans Tête » en attendant !

0 – « Ce que Douglas H. nous dit » : « Je suis tout à fait sérieux : je n’ai pas de tête« . I mean it in all seriousness : I have no head. »

Le « conditionnement » consiste à croire que « j’ai une tête sur les épaules puisque je la vois ».  Mais où donc ? Toujours dans un miroir ou équivalent, jamais ici & maintenant sur l’évidence de l’instant présent, sans faire appel à la mémoire ou à l’imagination.

¹ – Le petit mot important de ce paragraphe est « tous ». Cette « Vision du Soi/Sans Tête » est le plus grand commun réunificateur des nombreuses variantes de la spiritualité universelle, la brique de base de la « Philosophie Éternelle« . Mais … vérifiez !

Ce sont les expériences qui « prouvent » la validité de la Vision. Les  innombrables « citations » de toutes obédiences qui parsèment l’œuvre de Douglas ne viennent que la consolider dans un deuxième temps. Si vous avez suffisamment confiance dans votre expérience personnelle, vous pouvez même vous en passer.

² – C’est effectivement un « petit livre », où en plus tout est dit dans un très court premier chapitre « Vision ». Personnellement, au début je n’ai pas du tout trouvé « amusante » cette expérience de retournement de l’attention et ce qu’elle me permettait de Voir clairement, parfaitement :

Je l’ai bien entendu trouvée renversante (!), mais j’ai aussi été profondément choqué de constater qu’elle restait autant méconnue alors qu’elle me semble déterminante aussi bien pour tout individu que pour l’espèce humaine.

Ce qui m’a aussitôt convaincu dans cette Vision, outre le fait qu’elle me permettait de réaliser – simplement, concrètement, joyeusement – Cela que j’avais si longtemps cherché, c’est qu’il n’y avait là absolument rien à « croire ».

L’écueil majeur se situe sans doute là : si les expériences de Vision ne viennent pas fulgurer sur un terrain préalable de difficultés – pour ne pas dire de souffrances – et de recherche « sérieuse » pour s’en extraire, il risque fort de ne rien se passer. « Oui … et alors ? »

³ – Le mot important de ce paragraphe est « comment ». Et la traduction est incorrecte : impossible « d’avoir l’expérience » d’un autre, à moins de la faire soi-même.

Ce livre a été publié en 1961, et traduit en français seulement en 1978 … L’entièreté de l’expérience est déjà là. Mais Douglas va ensuite consacrer toute son énergie à inventer des expériences – encore une fois simples, concrètes, joyeuses – pour réussir à la partager. La réussite incomparable de Douglas est dans le « comment ».

Les Upanishads, les Évangiles, les Soutras bouddhistes, Maître Eckhart, Rûmî, Ramana, Nisargadatta, etc. tout y est bien sûr, mais « comment » les incorporer, les incarner ? La Vision du Soi répond à ce « comment » et il me semble – de plus en plus – urgent de s’en saisir. C’est à la fois « l’entrée principale » et « le seul espoir ». Vérifiez !

4 – « Une participation attentive et honnête » … risque fort de ne pas être suffisante. Je me méfie un peu de ce gugusse inconnu – anglais en plus – de sa proposition fumeuse, « Vivre Sans Tête » … n’importe quoi, de son absence de rattachement à une lignée traditionnelle reconnue, etc.

Pour éclaircir ce qui se passe effectivement dans cette expérience, accordons-lui une participation attentive et honnête. Alors peut-être éprouverons-nous moins de timidité et d’incrédulité. Quoi qu’il en soit, peut-être m’accordera-t-il d’émettre quelques suggestions interprétatives ? 

Cf. également : « Vivre sans tête » – Livre indispensable d’Alain Bayod

L’histoire des dix fous – Douglas Harding



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