J’avais fait le constat il y a quelques années que le mental superposait toujours une image à une pensée. Et qu’il suffisait d’enlever l’image pour ne plus avoir le son en quelque sorte. Il semblerait que ce soit la même chose avec le « mot ».
L’esprit peut-il rester avec le fait?
Mais quel est le fait?
S’il vous plaît, écoutez attentivement. Le fait de la souffrance – est-ce le mot qui a créé le sentiment ou est-ce de la souffrance réelle? L’esprit affronte-t-il la souffrance ou affronte-t-il ce qu’il appelle la souffrance à cause du mot, l’esprit peut-il regarder la blessure sans dire « souffrance »?
Le mot n’est pas la chose. Et la souffrance est-elle un mot ou une réalité? Donc, je dois découvrir si l’esprit est prisonnier des mots. Il se peut que les mots soient une échappatoire.
Donc, il faut que je découvre si l’esprit peut être libre du mot et de ce fait capable de regarder « ce qui est » sans le mot, parce que les mots jouent un rôle extrêmement important dans nos vies.– Chrétien, Allemand, Noir, Blanc, vous avez tout de suite une image…
Alors, si ce n’est pas le mot qui déclenche le sentiment, l’esprit peut-il rester avec le fait que représente ce sentiment et ne pas s’en éloigner? Quand vous faites cela, vous avez une énergie extraordinaire – qui s’était auparavant dissipée. Et quand vous avez cette énergie, alors, qu’est-ce que la souffrance?
Y a-t-il alors de la souffrance ?
Quand l’esprit reste totalement avec le fait, et non avec le mot, avec le fait de ce sentiment de profond chagrin, sans aucune échappatoire, de là vient la passion… L’esprit peut-il regarder la blessure sans la moindre envie de dire : « Je veux me venger, je veux construire un mur autour de moi pour ne plus jamais être blessé », rester avec le fait, non avec le mot.
Alors vous verrez que vous avez beaucoup d’énergie pour aller au-delà. Alors, la blessure n’existe plus du tout.
Faites-le vraiment, s’il vous plaît.
Saanen, le 1er août 1974.
L’homme qui reste avec « ce qui est » et ne s’en éloigne jamais ne porte pas de cicatrices.
Traditions et révolution.
Ce qui est important, c’est de ne pas s’échapper, de ne pas faire d’effort, de se contenter de rester avec « ce qui est. »
Brockwood Park, le 29 août 1985.
Krishnamurti.