Erik Sablé
« L’illumination des sens.
Lorsque nous sommes en joie, le quotidien est transfiguré. Nous vivons pleinement l’instant. Il se suffit à lui-même. La joie nous fait coïncider à notre univers le plus immédiat. Nous sommes libérés de l’anticipation et de la remémoration. D’une certaine façon nous nous trouvons en dehors du temps.
Le monde s’ouvre, les perceptions s’intensifient. Les sens sont comme illuminés. Ce flamboiement des sens rend présent les êtres et les choses, l’arbre devant la fenêtre, la couleur des toitures, un oiseau qui passe, une musique lointaine. Tout ce quotidien minuscule s’embrase d’un feu intérieur, se gonfle d’une sève inconnue qui nous maintient dans le présent. Nous passons d’une sensation à une autre comme un trésor merveilleux que l’on découvre, pas à pas, une perception après l’autre. Le quotidien le plus ordinaire apparaît soudain comme lavé, rendu limpide par la présence secrète de la joie. La transparence d’un monde originel antérieure à la « chute » se révèle.
Cette transfiguration des sens est connue dans le bouddhisme originel. Elle advient lorsque, par l’exercice de l’attention pure, les sens sont déliés du mental. Alors la moindre perception devient une source de joie. L’expérience montre que cette plénitude des sens naît lorsque nous ne sommes plus autant possédés par le flux des pensées errantes, lorsqu’elles cessent de nous envahir. Grâce aux pratiques de méditation bouddhiste, nous découvrons comment les pensées parasitent les perceptions. Elles nous empêchent de nous ouvrir au monde. Elles reflètent les préoccupations qui sont les nôtres, nos craintes, nos espoirs, nos colères, nos désirs. Elles sont comme un voile tissé devant le regard. C’est le voile de la Maya, la Grande illusion. Lorsque ce voile tombe, grâce à l’attention pure, la pratique de la vigilance intérieure, notre regard est comme lavé et les perceptions nous apparaissent transfigurées.
Chaque objet vu, chaque son entendu, est un joyau inaltérable ».
Erik Sablé, Petit traité de la joie, Dervy 2016.