dans

Soyons cette primordiale tendresse …


Un commentaire du billet intitulé « La vraie spiritualité » m’a récemment invité à proposer « une citation d’un autre auteur, qui sent moins le souffre, en cette fin d’année et à l’approche de Noël ». (0)

Noël est passé, et j’espère qu’il aura été joyeux pour vous et vos proches, en dépit de la pandémie et de tous les désordres et injustices associés.

J’espère que Noël n’est en rien pour vous une répétition. Noël est aux antipodes de la récurrente pandémie de « fièvre acheteuse ». Noël est, toujours, un commencement, un incipit, un principe, une Genèse, un « En-tête », … Quelque (non)chose de simple, calme, dépouillé, totalement délié & déliant de l’idolâtrie de la consommation … et d’inexorable, de puissant au-delà de toute mesure.

Je vous fais donc cadeau à cette occasion de quelques extraits de « Incipit ou le commencement » de Maurice Bellet¹, mais ce livre court & dense mérite, bien évidemment, d’être lu in extenso, relu et relu.

« Qu’est-ce qui nous reste ? Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ? Ceci : que nous soyons humain envers les humains, qu’entre nous demeure l’entre nous qui nous fait hommes.

Car si cela venait à manquer, nous tomberions dans l’abîme, non pas du bestial, mais de l’inhumain ou du déshumain, le monstrueux chaos de terreur et de violence où tout se défait².

Alors il arrive qu’un presque rien, la lumière d’un visage, la musique d’une voix, le geste offert d’une main, tout d’un coup disent tout ; et que par exemple cet épuisé qu’on croyait noyé dans l’absence signe, d’un mouvement presque invisible, la présence de la présence.

Le banal ne l’est plus du tout s’il est au principe. Ce qui sépare l’humain de l’inhumain est ce sans quoi il n’y a pas d’humanité. Ou encore : sans cette primitive donation réciproque, qui donne à chacun visage, voix, nom, nous ne sommes pas.

Cette relation si primitive qu’on ne sait comment la nommer ne repose point sur ceci ou cela, c’est tout le reste qui repose sur elle.

C’est en amont de ce que nous nommons morale ou éthique, parce qu’avant d’être exigence, c’est donation. C’est en amont du politique qui, sans cette référence, est livré au meurtre.

En venir là et s’y tenir, c’est tourner la page, c’est sortir des querelles, c’est venir à ce point de fusion où tout ce qui soutenait les grands édifices s’absorbe en ce pur commencement. Nous voilà hors des clivages établis, libres, tout libres, dans l’espace le plus grand possible des plus grands possibles³. …

Que nous est-il arrivé ? Nous venons de cette modernité qui a voulu sortir des âges obscurs de l’humanité ; son œuvre a été prodigieuse, nous en sommes, nous en vivons. Mais qu’advient-il, dans l’aventure, de cet infime ce-sans-quoi nous ne sommes pas ?

Grand thème, grand espoir : la fraternité universelle, l’amour, l’homme pleinement reconnu par l’homme.

En même temps, les grands massacres, le délire, des menaces inouïes ; et en les lieux mêmes où l’on veut l’homme heureux, juste, aimant, la perversion et le découragement. Les idées, projets, institutions sur lesquels on faisait fond révèlent leur fragilité, ou pire : leur complicité obscure avec ce qui nous détruit.

En ce monde de science et raison, viennent à la surface des troubles qu’on croyait oubliés. C’est comme si, par-dessous ce que nous avons bâti, se faisait entendre l’étrange ébranlement ; comme si l’abîme menaçait de s’ouvrir sous le sol où nous marchons encore. (4)

Ce qui s’annonce est la vie heureuse : l’éveil, le soin, le partage – et pour tous, quitter la voie de tristesse et cruauté, passer sur le chemin de joie et de grâce. C’est la douce splendeur de l’amour, la paix, la réconciliation, la fin de la faute, l’harmonie des puissances – la genèse retrouvée ! Rien de faible ou de mou, comme l’imaginent les violents, dans leur faiblesse fondamentale. Au contraire, la plus grande force, l’inouï, le bond par-delà ce monde tel qu’il est vers une humanité enfin en plénitude.

Tout commence et ne cesse de commencer dans cette joie. … Elle est, si elle est, l’inentamable en l’homme, par-dessous toute misère, la source qui ne cesse de sourdre sous les pierres et la boue, la cendre et les déjections.

Quelle parole parle dans le silence ? Quelle vision surgit de l’abîme ? Le lieu n’est pas ici ou là ; le lieu est l’unique, témoignant de l’ailleurs. Voilà notre première demeure. Elle coïncide absolument avec la tendresse réciproque, se donnant en nous par-delà toute l’emprise du meurtre et la puissance de la mort en la vie. Oui, agapé, la divine tendresse est l’expérience même, en nos vies, de ce qui est comme l’explosion du monde, ou la naissance en lui, germination insaisissable, de ce qui passe le champ maîtrisable des possibles. (5)

Je ne puis qu’aimer sans réserve en tout humain, mon proche, l’infini de ce qu’il est, c’est-à-dire qui il est dans son rapport avec l’inaccessible d’où nous sommes. …

C’est pourquoi cette voie qui est la simplicité absolue est aussi la tâche complexe et toujours à reprendre, selon le triple mouvement évoqué ici : du lieu clos à l’entier de l’homme ; de toutes choses humaines en amour ; de tout ce qui met à part et sépare en service de l’insaisissable unité. (6)

Le grand espace ! Jusque par-delà notre monde et tout ce que nous organisions en lui.

On peut déployer cette puissance à l’infini, dans tous les champs qui s’offrent ; on peut modifier les champs offerts, bousculer les répartitions ; on peut, retrouvant à neuf et à nu la saveur terrible d’une humanité naissante, se tenir dans une mutation permanente, un bouleversement des fonds plus radical que nos révolutions. On peut, et il le faut.

C’est par là, je crois, que nous ne serons pas mis à mort par l’insoluble ou par les faux succès. C’est par là que nous pourrons nous vivre charnels, par-delà l’avidité et l’angoisse ; corps de terre et corps de lumière, et pourtant un, dans notre vie mortelle ; et accueillir pleinement d’être homme par la femme et femme par l’homme ; et n’être pas défaits par nos compulsions, nos ressentiments, nos refoulements ou nos perversions. Et tenir à la fois le strict refus de la bassesse et cette liberté absolue qui sait que l’amour est la seule loi de l’amour, qu’on juge l’arbre à ses fruits et que tout ce qui est du corps de désir est parole, que seul l’amour sait entendre avec justesse.

Cette science de l’humain est exigée par le mouvement même des sciences, qui disperse, et qui du même coup fait croître l’exigence d’unité. C’est un projet impossible, mais c’est de s’y risquer qui fera surgir les possibles où s’engager … (7)

Cordialement

 

0 – Rien de plus erroné que de faire de Noël une histoire doucereuse, gentillette, mièvre, … Noël est une percée décisive, une avancée majeure dans l’histoire des hommes. (Si les Évangiles ne vous en convainquent pas, regardez donc un peu du coté de René Girard. Si ce dernier vous intimide, passez par l’intermédiaire de Jean-Claude Guillebaud.) Dans l’aire d’un Occident qui s’est beaucoup agité et répandu, c’est-à-dire désormais quasiment partout, Noël a toujours un commencement à nous proposer, ou alors Noël n’est pas Noël.

Surtout quand on accole à l’évènement ce constat essentiel d’Angélus Silésius :

« C’est en toi que Christ doit naître. Serait-il né mille fois à Bethléem, S’il ne naît pas en toi tu restes perdu à jamais. »

Le Pèlerin Chérubinique, I-61

[In dir muß Gott geboren werden. Wird Christus tausendmal zu Bethlehem geboren, Und nicht in dir, du bleibst noch ewiglich verloren.]

Noël est une histoire de « feu ».

¹ – Voilà quelque temps déjà que j’ai découvert Maurice Bellet, en direct d’une part grâce à la réédition de « La voie », et d’autre part dans le remarquable essai de Myriam Tonus : « Ouvrir l’espace du christianisme ». Il est présent dans les bibliographies de divers ouvrages de Marie Balmary, et Jean-Claude Guillebaud invite souvent à le lire.

² – « Le monstrueux chaos de terreur et de violence où tout se défait » est bien présent sous diverses formes en de nombreux endroits du monde. Rien ne sert de se voiler la face, et le recours au « spirituel » n’est en rien un évitement, une attitude de bisounours. Ceux qui promeuvent sincèrement & sérieusement cette possibilité de solution – « Le seul espoir » – sont plus des « Grosréveil » que des « Grosdodo » … Voilà des siècles que nous nous efforçons soigneusement de ne pas aller dans cette direction là, pourtant évidente. Le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources, cette pandémie de Covid-19, … nous signifient sans doute que le temps est venu.

³ – « … hors des clivages établis, libres, tout libres, dans l’espace le plus grand possible des plus grands possibles », c’est peut-être bien là :

A la fois Centre (« Je Suis ») et ensemble du dessin (« Je suis rien & je suis tout »), « Vide » central & « Tout » périphérique, espace d’accueil illimité & inconditionnel, … Cette considérable proposition nécessite bien sûr d’être scrupuleusement vérifiée, n’en croyez surtout pas un traître mot !

4 – Cet « étrange ébranlement », n’est-ce pas lui que nous sommes en train de vivre actuellement ? « L’abîme » ne s’est-t-il pas ouvert sous le sol où nos responsables politiques marchent encore ? Et si la pandémie ne suffit pas à changer radicalement de cap, le dérèglement climatique continuera d’insister … Un vieux monde est en train de mourir, le nouveau a bien du mal à naître.

5 – Maurice Bellet était prêtre de l’Église catholique, certes, mais ce qu’il évoque ici, « agapé, la divine tendresse », est universel. Et si « divine » vous grattouille, il est bien sûr possible de vous en passer. Ce qui est essentiel, c’est de faire l’expérience d’être en ce « lieu … unique, témoignant de l’ailleurs » où la « tendresse réciproque » devient naturelle, évidente. Ce lieu, c’est peut-être bien la zone « Je Suis » du dessin ci-dessus … Mais, encore une fois, essayez, vérifiez.

6 – Ce paragraphe peut intégralement s’appliquer à la Vision du Soi selon Douglas Harding. « Simplicité absolue », comme la groseille de Ramana Maharshi. Mais aussi « tâche complexe et toujours à reprendre » pour valoriser la Vision initiale jusqu’à ce qu’elle devienne parfaitement naturelle. Une dernière fois … essayez, vérifiez.

7 – Cette indispensable « science de l’humain », c’est peut-être tout simplement « La science de la Première Personne »

&

Voilà un premier billet consacré à l’œuvre de Maurice Bellet. A la fois trop long tant cette pensée & écriture sont profondes & agréables, et trop court, mais je ne pouvais pas recopier le livre ! Il y en aura vraisemblablement d’autres, beaucoup. Si vous n’avez guère de patience allez donc lire le billet dont est extrait cette phrase lumineuse, écrite en 2018 peu avant sa mort :

« Le virus, c’est l’obscur désir qui jette les humains dans la destruction de leur humanité. »



Source link

Qu'en pensez-vous?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Rédiger par volte-espace le blog

Drogues et expériences sexuelles par R.P. Kaushik

« Bien avant la naissance de vos parents, vous étiez grands, plus grands que les …