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Spiritualité et croyances



 La spiritualité va souvent avec des croyances, voire des superstitions. Pas seulement dans le New Age, mais aussi dans les traditions les plus authentiques. J’appelle cela l’occultisme, faute de mieux. Tout se passe comme si la poésie mystique, magie de l’intérieur, dégénérait en systèmes rigides et pointilleux, telle une lave se pétrifiant peu à peu. Et je constate avec un certain effroi que, plus ces traditions abordent les détails concrets, plus elles s’égarent. Leurs connaissances spirituelles sont remarquables. Pourtant, dans la physique, la biologie, dans l’histoire, l’éthique et la politique, on n’aperçoit plus ce même éclat. Plus les discours se veulent précis, plus ils montrent leur indigence. Le Tantra, le dzogchen, la mystique catholique, pour ne citer que des traditions qui me sont proches, n’échappent pas à cette curieuse dualité entre le spirituel et les croyances pataphysiques. Le platonisme bénéficie, quant à lui, de l’esprit scientifique des Anciens. Dans une certaine mesure.

Et donc, disais-je, tout se passe comme si la poésie mystique se solidifiait en sortes de systèmes occultes qui tombent dans le ridicule, à mesure qu’ils prétendent descendre aux détails. Il en va comme pour l’amour chrétien qui se pétrifie en institutions et en morale rigide.

Par exemple, le dzogchen est plein d’une sublime poésie et de beaux élans spéculatifs. Mais il prescrit aussi des « pratiques » occultes parfumées de paranoïa, et surtout des recettes assez pittoresques pour venir à bout des problèmes oculaires ou sexuels. Comme je disais, plus on va vers les détails concrets, plus on va vers le fumeux, voire le scabreux. Les limites apparaissent, alors que la méthode scientifique, au contraire, révèle une partie de sa puissance dans la précision qu’elle atteint dans les détails. Et cela vaut pour toutes les traditions.

Il est donc nécessaire de les approcher avec discernement. Autrement dit, ce qui est encore valable dans ces enseignements doit être distingué de ce qui est obsolète, inutile ou carrément dangereux. 

Mais comment des êtres omniscients ou en contact avec le divin peuvent-ils s’être trompé ou avoir ignoré à ce point ? 

– Eh bien, commençons par remarquer que tous les auteurs traditionnels ne sont pas censés être omniscients. En fait, cette idée que les « éveillés » sont infaillibles et savent tout sur tout est une croyance Jaïn et, spécialement, bouddhiste. Le Mahâyâna est la tradition qui a le plus insisté sur ce dogme d’une omniscience totale des Bouddhas. D’où des problèmes insolubles, des dissonances douloureuses et des conduites puériles. Mais ailleurs, dans l’hindouisme par exemple, les « éveillés » sont en contact avec le divin. Pour autant, ils ne sont pas nécessairement omniscients. Par exemple, selon le Tantra, l’union divine procure l’inspiration poétique, une intelligence singulière, une grande intuition et des facilités intellectuelles. Mais elle ne rend pas omniscient. 

Et Abhinavagupta, qui était pourtant lui-même vénéré comme un génie surnaturel, affirme explicitement que d’autres, après lui, pourront dire et diront mieux et plus vrai que lui. Il invite clairement au discernement. L’intuition spirituelle n’est pas incompatible avec l’usage de la raison. Et je crois que cette attitude est juste et cohérente, alors que la croyance en l’omniscience est source de dissonances cognitives majeures. 

Il est impossible de se sortir de ces problèmes sans intégrer l’idée d’évolution. Certes, il y a quelque chose qui n’évolue pas, il y a de l’éternel. Et c’est justement ce qui n’évolue pas qui constitue le moteur d’une évolution infinie. La simplicité radicale de l’Un est source d’une inépuisable richesse dans le Multiple et, donc, d’une évolution sans terme autre que l’horizon idéal d’une parfaite synthèse, d’une ultime réconciliation.

En outre, si l’absolu est libre, il est juste que cette liberté se retrouve, à des degrés divers, dans sa manifestation. Or, cette liberté se manifeste comme nouveauté. Donc, comme évolution qui ne se réduit pas à une répétition de cycles. Il y a des cycles, mais aussi une évolution et des évènements imprévisibles, le tout formant une spirale, plutôt qu’un mouvement circulaire et plat. Il n’y a pas de retour exact au passé, mais un perpétuel mélange d’Identique et de Différent, ce Différent étant le fait de la souveraine liberté de la Conscience universelle. 

Dès lors, les traditions, qui ne sont pas seulement des résultats immuables, mais aussi et surtout des flux de transmissions pris dans le mouvement de cette évolution universelle, sont appelées à changer. Et ce changement n’est pas nécessairement une décadence. Cela peut aussi être un progrès.

Mais, objectera-t-on, discerner et rejeter le superstitieux, n’est-ce pas tuer la magie ? n’est-ce pas oblitérer le sacré lui-même ? – Je ne le pense pas, du tout. Bien au contraire. Se livrer à ce nécessaire travail, au sens propre du terme, c’est réformer sans rationalisme, c’est revenir à la source, c’est comme élaguer un arbre ou alléger un jardin. Les bonnes choses en sortent ragaillardies et porteuses d’une sève renouvelée. Il n’y a rien à craindre de cette pratique, à condition qu’elle soit vécue de l’intérieure. S’il n’y a pas expérience mystique, s’il n’y a pas vie intérieure, alors bien sûr, tout cela est vain et sera voué à la catastrophe. 

Mais, pour revenir à la question de l’usage de la raison, je crois qu’il n’y a pas à la craindre, à vouloir la ligoter ou l’assigner à je ne sais quelle résidence surveillée. J’appartiens à une tradition « intégrale », c’est-à-dire à une transmission qui assume toutes les puissances et cultive un optimisme lucide quant à l’avenir. Je médite toujours cet exemple : Est-il besoin de croire que la Terre du Milieu existe objectivement pour en faire l’expérience ? Pensons-y. 

Comme Utpaladeva et la tradition du Tantra du Cachemire, je crois en la vie intérieure, en ses miracles qui dépassent l’entendement. Mais, comme Utpaladeva, je prône l’usage de la raison au plan ordinaire, « au plan de Mâyâ » (mâyâpade). Et donc, je m’applique à suivre ses lois et ses règles. Et donc, « une affirmation extraordinaire exige une preuve extraordinaire », et ainsi de suite. Cela n’est absolument pas incompatible avec la vie spirituelle, mystique, poétique, cela ne tue aucune magie, bien au contraire. 

De plus, cela protège des grandes folies du fanatisme, sans nous priver des divins délires et des inspirations inopinées. Je peux me laisser envahir par l’intuition, par les parfums d’outre-monde, par la magie des ressentis subtils, sans pour autant cesser d’exercer mon jugement sur ce qui se présente sur la scène occulto-pseudo-scientifique. J’admets que cela n’est pas tout à fait évident pour tous, car l’accès aux mondes invisibles semble souvent passer par un sacrifice de l’entendement, du bon sens. Mais c’est en réalité un faux dilemme. Je ne peux que vous inviter à y réfléchir. 

Finalement, je crois que tout est appelé à devenir cohérent, voire harmonieux. Être pleinement rationnel, et pleinement intuitif. Philosophique et poétique. Scientifique et mystique, sans sacrifier l’un à l’autre, mais en s’élevant par l’un et par l’autre, comme par deux ailes. Laisser tomber les superstitions, oui. Mais non pas renoncer à la magie, à la véritable magie, celle qui ne se laisse pas enfermer dans un système grossier, celle qui ne peut qu’être vécue et partagée, peut-être, dans la poésie.



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Rédiger par Blog de David Dubois

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