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comment expliquer notre impuissance ?


L’auteur exprime sa reconnaissance au Dr Lydia Kerkerian-Le Goff, directrice de recherche au CNRS, pour sa relecture critique et constructive de cet article.

Les maladies neurodégénératives constituent l’un des enjeux majeurs de santé publique, notamment parce que le facteur de risque principal de la plus emblématique, la maladie d’Alzheimer, est l’avancée en âge. À ce jour, si nous sommes à même de pouvoir agir dans quelques cas favorables pour limiter les symptômes de certaines d’entre elles, nous ne savons en aucune manière stopper leur évolution. Le nombre de malades en France, aujourd’hui, est estimé autour de 1,2 million [1]. Il pourrait doubler d’ici 2050 avec le vieillissement de la population. Selon les experts évaluateurs du Plan national sur les maladies neurodégénératives 2014-2019, « le retentissement sociétal (et humain) de ces maladies est majeur » [2], du fait que les maladies neurodégénératives évolutives sont la première cause de perte d’autonomie des populations. Le soutien de la recherche, initié par les trois Plans Alzheimer des gouvernements successifs depuis 2000, si tant est qu’il ait été suffisant, ne s’est pas traduit sur le plan thérapeutique par les succès attendus, en dépit de réelles avancées des connaissances, en particulier dans celles des mécanismes fondamentaux de la plupart de ces maladies. Comment, dès lors, expliquer le peu de retombées pour les patients depuis vingt ans ? Les stratégies de recherches ne seraient-elles pas les plus pertinentes ?

Les Vieilles Gens, Maurice Eliot (1862-1945)

Les maladies neurodégénératives désignent un sous-ensemble des pathologies neurologiques partageant des caractéristiques communes : progressivité de l’installation des symptômes, avec une évolution généralement lente, parfois sur plusieurs décennies, une atteinte du système nerveux qui peut être qualifiée de « systémique » et enfin, tout au moins pour les principales d’entre elles, l’existence d’une longue phase de plusieurs années où la maladie est présente mais non encore détectable cliniquement (à l’examen médical). Dans ce cas, il est admis que, grâce à la mobilisation de mécanismes de défense contre le stress cellulaire et aux propriétés de neuroplasticité du cerveau, ce dernier « compense » pour assurer un fonctionnement de l’organisme plus ou moins normal en dépit de lésions susceptibles d’être déjà très importantes. Ceci explique le fréquent retard du diagnostic clinique. Cependant, ces mécanismes finissent par s’épuiser et peuvent même à terme se traduire par des effets délétères collatéraux, comme une accélération de la sénescence neuronale, participant à la progression du processus dégénératif.

Le Fou de peur (détail),
Gustave Courbet (1819-1877)

Schématiquement, en prenant en compte les personnes non diagnostiquées et le fait que la grande majorité des patients atteints de maladies neurodégénératives souffrent de démences, il est estimé que 1,5 million de malades sont concernés à ce jour dans notre pays et plus de 10 millions dans les 27 pays de l’Union européenne plus l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni, soit entre 1,5 % et 2 % de la population [3]. Le coût social et humain de ces maladies est considérable, en particulier du fait de prises en charge très longues, parfois sur plusieurs décennies.

Sur le plan clinique, nous assistons impuissants au développement de ces maladies très handicapantes, sans pouvoir agir sur leur évolution. Un difficile constat d’échec pour la communauté des chercheurs et des cliniciens.

Une classification des maladies neurodégénératives balbutiante

La classification des maladies neurodégénératives se fonde conventionnellement sur des critères cliniques distinguant, schématiquement, les pathologies affectant principalement la sphère motrice de celles touchant les fonctions cognitives. Une multiplicité de mécanismes pathologiques sous-jacents est suspectée, sans toutefois que ceux-ci puissent être précisés, limitant considérablement de nouvelles propositions thérapeutiques. L’hétérogénéité des symptômes observés conduit à privilégier le terme de « syndrome » plutôt que celui de « maladie » pour bien marquer la diversité. Ainsi, par exemple, parle-t-on de « maladie d’Alzheimer et de syndromes apparentés » où la maladie d’Alzheimer « vraie » ne correspondrait in fine qu’à une partie (70 %) des malades souffrant de démence [1].

Les principales maladies neurodégénératives sont la maladie d’Alzheimer représentant à elle seule l’écrasante majorité des malades, la maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Charcot, la maladie de Huntington, et de nombreuses autres pathologies moins fréquentes mais tout aussi invalidantes (voir encadré « Les principales maladies neurodégénératives »). La sclérose en plaque ou les accidents vasculaires cérébraux sont aussi considérés comme des maladies neurodégénératives, mais relèvent de mécanismes différents (origine auto-immune pour la première ou dégénérescences neuronales aiguës pour les seconds).

Les principales maladies neurodégénératives



La maladie d’Alzheimer est la cause la plus courante de démence et serait à l’origine de jusqu’à 70 % des cas. Elle touche environ 900 000 personnes en France (1,2 million selon Santé publique France en 2014), plus de 4,9 millions de personnes en Europe et environ 25 millions de personnes dans le monde. Ces chiffres devraient doubler d’ici à 2050.

La perte de mémoire est souvent le premier symptôme de la maladie d’Alzheimer qui permet d’orienter le diagnostic. Ensuite, surviennent des troubles des fonctions exécutives, des troubles de l’orientation spatio-temporelle, puis progressivement s’installent des troubles du langage (aphasie), de l’écriture (dysorthographie), du mouvement (apraxie), du comportement, des troubles de l’humeur (anxiété, dépression, irritabilité) et des troubles du sommeil avec insomnie.

La maladie de Parkinson est la seconde maladie neurologique de ce groupe la plus fréquente. Elle touche plus de 150 000 personnes en France, plus de 1,2 millions de personnes en Europe et plus de 6,3 millions de personnes dans le monde.

D’un point de vue symptomatique, les signes cliniques les plus connus de la maladie sont les tremblements, mais les plus fréquents et caractéristiques sont la lenteur des mouvements, ou akinésie, et la rigidité musculaire.

La sclérose latérale amyotrophique (SLA, ou maladie de Charcot) touche environ 8 000 personnes en France, plus de 100 000 personnes en Europe et près de 120 000 personnes dans le monde. La SLA se déclare à l’âge adulte (40-80 ans) et évolue en 3 à 5 ans vers la paralysie complète et le décès du patient par paralysie des muscles de la respiration.

La liste des maladies neurodégénératives comprend aussi d’autres démences, comme la maladie de Pick, les démences fronto-temporales, la démence à corps de Lewy, à titre d’exemples. D’autres maladies, plus rares, sont la chorée de Huntington, la maladie de Machado-Joseph, ou la maladie de Creutzfeld-Jakob.

La sclérose en plaques, maladie auto-immune, en fait également partie, de même que les accidents vasculaires cérébraux (AVC), bien que dans ces deux derniers cas, les caractéristiques de ces pathologies soient différentes de celles des maladies neurodégénératives au sens où nous les considérons dans cet article (absence d’agrégats tissulaires protéiques).

Source

Institut du cerveau, « Les chiffres clés », sur institutducerveau-icm.org.

Plus récemment, de nouvelles classifications ont été proposées, en considérant que l’un des stigmates les plus fréquents est la présence de dépôts d’agrégats de protéines dans les cellules nerveuses ou dans les espaces extracellulaires [4]. Connus parfois de longue date (depuis 1906 dans le cas de la maladie d’Alzheimer), ces dépôts représentent de véritables marqueurs de ces pathologies. Ils peuvent être recherchés dans le cerveau pour confirmer le diagnostic clinique à partir de prélèvements ou à l’autopsie des patients. Une ou plusieurs protéines sont impliquées pour chacune des pathologies. Parmi les protéines les plus caractéristiques se trouvent les protéines « b-amyloïde » et « tau », associées principalement (mais pas seulement) à la maladie d’Alzheimer, la protéine « a-synucléine » associée à la maladie de Parkinson ou encore la « huntingtine » dans la maladie de Huntington. Ces observations permettent de regrouper les maladies neurodégénératives en sous-catégories, en fonction des protéines impliquées, avec l’hypothèse que, pour une protéine donnée, les mécanismes neurotoxiques pourraient avoir de nombreuses étapes en commun [5].

Les agrégats de protéines sont-ils la cause ou la conséquence de la maladie ? L’hypothèse qui prévaut aujourd’hui est celle d’une toxicité de ces structures protéiques anormales se traduisant par la dégénérescence neuronale. C’est aussi ce que l’on constate dans le cas du passage de cellule à cellule, comme pour les agents de type « prion » popularisés il y a quelques années par la crise dite de « la vache folle », responsable d’une variante de la maladie de Creutzfeldt Jakob. De fait, comme dans le cas de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, l’administration expérimentale intracérébrale d’agrégats contaminés chez des animaux transmet la maladie [6].

Dans cette hypothèse, qui fait très largement consensus dans la communauté des chercheurs, l’agrégation de protéines rendues insolubles par un changement de leur conformation structurale représenterait un mécanisme commun de l’évolution du processus dégénératif. Si tel était le cas, cela représenterait un formidable espoir : celui de pouvoir un jour agir sur tout le groupe de maladies concernées par l’une ou l’autre de ces protéines en intervenant sur le mécanisme de formation et de propagation de ces agrégats de protéines. Toutefois, le lien entre le processus d’agrégation et la neurodégénérescence pour chacune des maladies neurodégénératives reste encore très largement mal compris. Mais il s’agit là néanmoins d’une avancée majeure pour envisager des solutions thérapeutiques innovantes basées sur la cause de ces pathologies.

Des causes encore très mal connues

Les avancées les plus récentes des recherches sur les causes des maladies neurodégénératives attestent de l’importance des facteurs génétiques, parfois d’une grande diversité. Ainsi, dans la maladie de Parkinson, près d’une trentaine de mutations génétiques ont été identifiées, bien que seules quelques-unes d’entre elles soient réellement « causales » de la maladie (concernant moins de 5 à 10 % des malades) [7]. Mais, dans d’autres cas, comme dans la maladie de Huntington ou celle de Machado-Joseph dont l’héritabilité est bien connue, les causes génétiques sont considérablement mieux identifiées. Là encore, ces observations sont du plus haut intérêt, laissant présager à terme l’identification de cibles thérapeutiques potentielles, communes à plusieurs sous-ensembles de maladies dégénératives.

Pour le moment, nous n’en sommes pas là. Ce qui ressort paradoxalement des études moléculaires est une pluralité de mécanismes conduisant à la mort neuronale dans le cadre des maladies dégénératives du système nerveux. Toutefois, les étapes ultimes de la dégénérescence des neurones pourraient correspondre à des mécanismes plus partagés, de type « apoptose » (mort neuronale « programmée ») ou « autophagie » (autodestruction de la cellule), dans une sorte de « voie finale commune » [8, 9].

En ce qui concerne l’immense majorité des cas de maladies neurodégénératives dont la cause n’est pas connue, on envisage le plus souvent l’hypothèse de l’interaction de facteurs génétiques représentant possiblement des facteurs de prédisposition à la maladie avec des facteurs environnementaux susceptibles d’agir sur ce terrain génétique favorable. La liste de ces facteurs est en grande partie spéculative et reste très mal documentée. Il n’en reste pas moins que chacun a eu connaissance, souvent à grands renforts médiatiques, de la possible implication de certains facteurs environnementaux, en dehors de ceux d’ordre socio-démographique comme l’avancée en âge (dont l’influence est avérée dans le cas des démences de type Alzheimer) ou le niveau d’éducation, fondement d’une « réserve cognitive » potentiellement protectrice des troubles cognitifs dont la survenue serait aussi potentiellement liée à d’éventuels comportements « à risque ». Parmi ces facteurs environnementaux susceptibles de favoriser la dégénérescence neuronale, les plus souvent cités, parmi d’autres, sont ainsi l’exposition à des métaux lourds ou à des agents toxiques notamment phytosanitaires, promoteurs de processus cellulaires oxydatifs ou inflammatoires. Dans quelques rares cas, l’utilisation de telles substances phytosanitaires est reconnue comme à l’origine de la maladie [10]. Ainsi un décret du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation de mai 2012 classe la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle pour les salariés agricoles.

S’agissant des facteurs de prédisposition génétique, dans le cadre des démences de type Alzheimer, il est possible de mentionner la surreprésentation bien établie chez certaines populations de malades d’une forme d’un gène impliqué dans le transport membranaire du cholestérol [11]. Et il est également possible d’évoquer l’idée que, là encore, au moins pour les maladies neurodégénératives les plus fréquentes, des facteurs métaboliques apparaissant comme des comorbidités, tels que ceux liés à l’obésité, au diabète ou encore aux pathologies cardiovasculaires, soient susceptibles de représenter d’autres facteurs de risque [12].

De l’ensemble de ces données, il ressort, sans que cela puisse être considéré comme une règle générale, que la survenue des maladies neurodégénératives sans cause identifiée à ce jour est vraisemblablement à la croisée de facteurs multiples. Ceux-ci incluent des prédispositions génétiques en elles-mêmes insuffisantes pour déclencher la maladie, sur lesquelles agiraient des facteurs environnementaux au sens défini ci-dessus, le tout pouvant être facilité par un état général prédisposant lui-même à des troubles métaboliques ou inflammatoires. L’avancée en âge n’apparaît que comme un facteur supplémentaire d’affaiblissement de l’organisme, hormis le cas de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés où l’âge constitue un facteur de risque avéré. A contrario, d’autres facteurs génétiques pourraient être considérés comme des facteurs de protection contre les maladies neurodégénératives (au moins certaines d’entre elles) [11], ce qui pourrait expliquer que, pour une même exposition à des facteurs environnementaux donnés, certains individus développeraient une maladie et d’autres pas. Mais cela reste une hypothèse à explorer.

Des mécanismes multiples encore hypothétiques

Trois principaux mécanismes possibles de compréhension des processus dégénératifs sont avancés : (1) le stress oxydatif, c’est à dire l’agression des neurones par les radicaux libres représentant des molécules produites par l’organisme qui possèdent un électron célibataire [13] ; (2) un dysfonctionnement des machineries cellulaires qui assurent la production d’énergie, contribuant à la production des radicaux libres [14] ; et (3) l’altération de mécanismes physiologiques à la base de l’élimination et du recyclage des organites et éléments cellulaires indésirables ou endommagés, dont les protéines [15].

Ces trois mécanismes ne sont pas exclusifs les uns des autres et d’autres hypothèses (rôle potentiel de la « neuro-inflammation », notamment) sont étudiées [16, 17].

Invocation à I-em-hetep, dieu égyptien de la médecine, Ernest Board (1877-1934)

Collection Wellcome

L’illusion des pseudo-thérapies

Le fardeau que représentent les maladies neurodégénératives alimente une floraison de propositions pseudo-thérapeutiques et de prises en charge suscitant de faux espoirs chez les malades.

Ainsi, certains prétendent « guérir les maladies neurodégénératives » en proposant des supplémentations alimentaires basées sur des agents antioxydants, en rapport avec l’hypothèse du stress oxydatif et des radicaux libres. On se souviendra par exemple des recommandations, en 2002, du Pr Luc Montagnier au pape Jean-Paul II souffrant d’une forme très avancée de syndrome parkinsonien, de consommer de la papaye fermentée… L’Agence française de sécurité des aliments (aujourd’hui Anses) avait alors été saisie pour une évaluation et avait conclu que l’action « anti-âge » alléguée n’était en aucune manière étayée [18].

Les bienfaits du vin rouge ou, mieux encore, du resvératrol (présent dans les tanins du vin rouge et le chocolat) sont régulièrement évoqués dans une certaine presse, au même titre que les vertus anti-âge et neuroprotectrices – semble-t-il innombrables – du royaume des (très lucratifs) antioxydants ; là encore, sans fondement scientifique (voir par exemple [19]). Pire encore, affirmer explicitement qu’il est possible « de prévenir les maladies neurodégénératives grâce aux huiles essentielles » [20] et autres aromathérapies au motif qu’elles réduiraient l’impact des toxiques environnementaux relève d’une idéologie qui n’a pas été soumise à la rigueur de la validation expérimentale. Quant au THCA (acide tétrahydrocannabinolique), dérivé de la forme brute du cannabis, ses « vertus » neuroprotectrices seraient déjà démontrées sur des patients âgés, sans plus de précision [21]. Certes dans ce dernier cas tout au moins, cette démarche est proposée sur la base de données expérimentales chez l’animal [22], mais très éloignées de la problématique, montrant que cette molécule pourrait avoir un effet « protecteur » des neurones en agissant sur certains récepteurs présents dans le noyau des cellules.

Des traitements qui ne sont pas à la hauteur des avancées scientifiques

Force est de constater qu’en 2022, nous ne pouvons proposer aucune solution thérapeutique satisfaisante permettant de bloquer l’évolution des maladies neurodégénératives. Ce constat d’échec est d’un retentissement considérable au regard des enjeux sociétaux et humains. Dès lors, les stratégies thérapeutiques dites « de première génération » et qui remontent aux années 1970, visant à réduire l’impact des symptômes lorsque cela est possible, restent d’actualité.

Dans le cas – emblématique – de la maladie de Parkinson, il est nécessaire de modérer notre enthousiasme et mentionner que les médicaments les plus prescrits aujourd’hui, quel que soit l’endroit sur la planète, datent quasiment sans exception de cette époque. S’ils sont autant prescrits, c’est parce que ces traitements contribuent objectivement à améliorer grandement, dans les meilleurs cas, l’état des malades, mais parfois au prix d’effets secondaires pouvant devenir intolérables, les médicaments étant eux-mêmes parfois à l’origine de mouvements anormaux que l’on peut assimiler à une maladie nouvelle résultant du traitement, de type iatrogène. Rien de très marquant n’est venu, depuis, compléter cette panoplie, à l’exception notable de la mise au point à la fin des années 1980, à Grenoble, des stratégies neurochirurgicales de stimulations cérébrales profondes [23] dont le retentissement international est de tout premier plan.

Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, aucun médicament n’est à même d’améliorer de façon significative l’état des patients, sauf peut-être dans quelques cas et au tout début de la maladie, pour favoriser quelque peu leur autonomie.

L’Insomniaque, Edvard Munch (1863-1944)

Ralentir la progression de la maladie

Un objectif plus modeste que la guérison est de promouvoir un ralentissement des processus dégénératifs dans une démarche qualifiée communément de « neuroprotection ».

Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, les études épidémiologiques révèlent que, dans notre pays, pour les patients dont les fonctions cognitives sont principalement altérées, la prévalence augmente considérablement avec l’avancée en âge [3] d’un peu plus de 0,5 % avant 60 ans à 12 % après 80 ans, et jusqu’à plus de 40 % après 90 ans, avec une incidence plus forte chez les femmes que chez les hommes les plus âgés. Ainsi, si l’aggravation de la maladie (attestée par des marqueurs cliniques et une perte d’autonomie dans les activités quotidiennes) adoptait une trajectoire d’évolution plus lente, alors ce ne serait pas le nombre de malades qui diminuerait mais, à un âge donné, le nombre de cas les plus invalidants.

Certaines maladies neurodégénératives liées à l’âge seraient-elles ainsi « évitables cliniquement » (c’est-à-dire en termes des symptômes les plus invalidants), comme c’est déjà le cas de certaines pathologies métaboliques ou cardiovasculaires, voire de pathologies infectieuses grâce aux vaccinations ? Des données épidémiologiques récentes obtenues en Europe sont plutôt réconfortantes en ce sens : l’incidence des démences relevée en 2018 est significativement plus faible que celle de 2008 alors même que l’espérance de vie continue à progresser. Cela est expliqué par l’amélioration continue des conditions de vie, par un diagnostic plus précoce des maladies et par de meilleures prises en charge médicales et sociales, ou encore par une politique de prévention plus efficace [3]. C’est notamment le cas des démences pour lesquelles des composantes vasculaires sont mises en évidence et, dans un autre domaine que celui des maladies neurodégénératives au sens de ce propos, celui des accidents vasculaires cérébraux dont les effets sont également dévastateurs. Dans ces pathologies, la réduction de facteurs de risques tels que l’obésité, le diabète et surtout l’hypertension artérielle diminue clairement leur incidence et leur intensité. Il reste que si la notion de maladie « évitable » peut apparaître comme centrale dans le cas des démences, elle ne peut à ce stade être extrapolée plus largement à d’autres maladies neurodégénératives. Le concept repose sur des notions suggérant qu’au plan des mécanismes, certaines étapes métaboliques puissent faire l’objet de modulations. À ce stade, plusieurs études cliniques s’efforcent de montrer l’intérêt potentiel des statines (anticholestérol) [24], de la metformine (antidiabétique) [25], d’antiinflammatoires non stéroïdiens [26] ou encore de l’oxygénothérapie [27], à titre d’illustration, pour réduire l’incidence de ces maladies. Mais les résultats sont encore trop controversés pour se faire une opinion objective sur la potentialité de ces traitements. Quant aux médicaments de « seconde génération » visant à ralentir l’évolution des maladies neurodégénératives, ils sont encore inexistants.

Vieil homme tenant une paire de lunettes,

Karel van der Pluym (1625-1672)

Agir sur les mécanismes de la neurodégénérescence

Dans l’hypothèse du rôle central des agrégats protéiques dans les processus dégénératifs, l’idée a depuis longtemps été avancée qu’il serait possible de réduire leur toxicité, par exemple en les solubilisant ou en les neutralisant. En analysant les données relatives aux quelques 118 agents testés en 2021 dans 208 essais cliniques axés sur la maladie d’Alzheimer [28], on constate que les objectifs sont majoritairement de ralentir le déclin cognitif et de prolonger le plus possible l’autonomie des patients. Dans le cas de cette pathologie, ce qui est visé en premier lieu est l’agrégation de la protéine b-amyloïde. Cependant, en dépit d’innombrables investigations, les résultats ont tous été décevants. Et, dans le cas de la maladie de Parkinson, les résultats ne sont pas meilleurs, conduisant à la conclusion qu’aujourd’hui nous ne disposons d’aucun agent susceptible de ralentir efficacement l’évolution de la maladie [29].

Dans le domaine des démences de type Alzheimer, les stratégies dites « de vaccination » ciblent des protéines considérées comme jouant un rôle critique dans les processus pathologiques (en particulier la protéine b-amyloïde). Elles n’ont cependant pas donné les résultats espérés. Mais les travaux se poursuivent. Une nouvelle molécule, l’aducanumab, considérée comme prometteuse [30] et visant à l’immuno-neutralisation de cette protéine, a récemment été approuvée aux États-Unis (juin 2021) pour la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Cette approbation s’est faite dans le cadre d’une « procédure accélérée » fondée non pas sur l’efficacité prouvée de la molécule sur la maladie, mais sur un critère « de substitution » (la réduction de la plaque amyloïde), en attendant que la preuve d’un bénéfice sur la maladie elle-même soit apporté. L’Agence européenne des médicaments a, pour sa part, refusé sa commercialisation en décembre 2021, faute de données cliniques suffisantes et avec un constat de sûreté du médicament non garanti [31]. Dans le cas de la maladie de Parkinson, plusieurs essais cliniques d’immunothérapie passive (anticorps) ou active (peptides) dirigés contre l’a-synucléine ont été réalisés dès 2012 avec le soutien de la Fondation Michael J. Fox, sans pour autant, là non plus, qu’ils puissent être considérés à ce stade comme concluants [32].

Le Lecteur,
Ferdinand Hodler (1853-1918)

Des questions en suspens

Sans vouloir être exhaustif, deux questions majeures parmi d’autres focalisent les efforts de la recherche.

La très lente évolution des maladies neurodégénératives

À l’autopsie, on n’observe que de très rares figures de neurones en dégénérescence, quelle que soit la pathologie concernée. Si les processus dégénératifs sont effectivement présents sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, il n’est pas anormal de ne trouver que peu de traces de ces événements : seules les populations neuronales « survivantes » peuvent être examinées. Au-delà de spéculations nombreuses, nous ne savons rien sur les mécanismes de cette lente progressivité alors que se trouve vraisemblablement là l’une des clés des processus pathologiques à l’œuvre. L’examen clinique ne permettant pas, le plus souvent, de détecter les premiers signes de la maladie, les investigations sont également axées sur la caractérisation de biomarqueurs précoces [33]. Les premiers résultats sont à ce propos extrêmement encourageants, indiquant que l’accumulation de la protéine b-amyloïde peut débuter jusqu’à vingt années avant l’établissement de la démence dans le cas de la maladie d’Alzheimer [34]. L’imagerie cérébrale est dans certains cas un moyen indirect d’observer la perte neuronale dans le suivi des patients et parfois d’évaluer le stade de la maladie [35, 36].

Des populations neuronales plus vulnérables que d’autres

Dans le même ordre d’idée, la question reste ouverte de comprendre pourquoi certaines populations neuronales sont plus vulnérables aux processus neurodégénératifs que d’autres. Les études les plus avancées portent sur la maladie de Parkinson, à titre en quelque sorte de « maladie-modèle ». Celle-ci se caractérise par la dégénérescence quasi sélective d’une population neuronale bien localisée dans une partie profonde du cerveau : les neurones dopaminergiques de la « substance noire », région haute du tronc cérébral, impliquée notamment, mais pas seulement, dans la régulation des fonctions motrices. Dans ce cas, une amélioration de l’état des patients est obtenue par le « remplacement » de la dopamine, le neurotransmetteur relayant les effets de ces neurones dans le cerveau antérieur, grâce à l’action d’un médicament. Reste qu’à ce stade, rien ne permet d’expliquer clairement pourquoi ces neurones particuliers sont une cible préférentielle de la maladie de Parkinson [37].

Quelles stratégies pour demain ?

La recherche sur les maladies neurodégénératives présente un enjeu sociétal majeur, qui impose d’importantes évolutions de la discipline (modèles animaux utilisés, recherche préclinique amplifiée, approche pluridisciplinaire plus marquée, meilleure collaboration entre cliniciens et chercheurs fondamentaux, etc.). La recherche de marqueurs (biochimiques/physiologiques, comportementaux, imagerie, etc.) sera la clé pour établir des diagnostics précoces, garants d’une meilleure efficacité des traitements symptomatiques. De tels biomarqueurs seraient également du plus haut intérêt pour suivre l’évolution des maladies neurodégénératives et des sous-populations spécifiques de patients souffrant de la même pathologie, ce qui ouvre le champ de la mise en œuvre d’une médecine de précision, voire personnalisée. Cette recherche, qui inclut aussi des tentatives de thérapie cellulaire et de thérapie génique [38, 39], est en marche et paraît très prometteuse. Formons le vœu que les nombreuses et excellentes équipes que compte notre pays puissent avoir les moyens de leurs ambitions, dans un contexte attristant – comme le rappelait récemment Yves Buisson [40] – d’appauvrissement de la recherche en biologie-santé depuis dix ans.

Références



1 | Santé publique France, « Maladie d’Alzheimer et autres démences », dossier, novembre 2021. Sur santepubliquefrance.fr
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