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Et si l’égoïsme était la porte de l’éveil ?



« Non pas libérer le Moi, mais se libérer du Moi ». Le Moi est haïssable, car il rapporte tout à soi, jetant ainsi un soupçon de corruption jusque sur les actes les plus nobles. Je me demande alors s’il existe vraiment un seul exemple avéré d’acte désintéressé. L’égoïsme, l’amour-propre, ne sont-ils pas le fond naturel de toute activité vivante, depuis le moustique jusqu’à l’ange ? Mais alors, pourquoi ne pas remonter jusqu’à Dieu, ou jusqu’à celui qui, selon la Bible, a proclamé « Je suis Dieu et nul n’est plus grand que moi » ?

Le poison de l’ego est-il donc universel et sans remède ? Le problème est que le remède à l’égoïsme est toujours un autre égoïsme, plus vaste ou reporté sur un autre objet. Au lieu de me préférer, je préfère ma famille, ma nation, ma foi, mon monde. L’égoïsme est un monstre qui se déplace, qui se transforme, mais qui ne naît ni ne meurt.  

Dans un précédent billet, je me demandais s’il existe vraiment des actes désintéressés. Il est impossible de voir les intentions d’autrui, tout comme sa conscience se dérobe. Ma propre conscience et mes propres intentions ne sont pas non plus parfaitement fiables. Je sais que je peux me mentir à moi-même, jouer à me justifier, à rationaliser après-coup. Faut-il donner des exemples ? Je peux certes tenter de juger l’arbre à ses fruits, mais c’est là une autre entreprise hasardeuse, et là non plus les exemples ne manquent pas. L’égoïsme est une sorte de radioactivité résiduelle dont nul ne semble pouvoir se débarrasser.

Et pourtant…

Me revient à l’esprit ce célèbre et étrange dialogue entre le sage indien Yajnavâlkya (Shiva ?) et la non moins sagace Maïtreyî (Shakti ?), échange qui rappelle, en substance, que tout est aimé pour l’amour de soi. Mais ceci ne confirme-t-il pas le propos précédent ? Eh bien non. Car la beauté de la langue sanskrite, dans laquelle est rapportée cette parole plusieurs fois millénaire, est que le mot « soi » (âtmâ) peut désigner à la fois l’ego et… autre chose. Un Moi transcendant. Un Moi qui n’est pas « mon ego à moi ».

Mais ce Moi est-il vraiment un autre Moi que le Moi égoïste ? L’enseignement de Yajnavâlkya suggère justement que non. Il n’y a qu’un seul et unique Moi, et tout se fait par amour pour ce Moi inévitable. L’égocentrisme est universel et ne souffre nulle exception. 

Mais alors ? Eh bien, justement, par le fait même ! L’universalité de cet égoïsme pointe le remède à l’égoïsme : le poète védique nous indique le remède en indiquant le mal. Comment est-ce possible ? Parce que l’égoïsme, en sa vérité, est la reconnaissance du Moi universel, mais seulement incomplet. L’egoïsme ou amour-propre ou amour de soi, est seulement un amour universel – car ce Moi universel est le Moi de chacun – un amour inconditionnel encore immature. Yajnavâlkya suggère donc de dépasser l’égoïsme en le poussant à fond, ou plutôt jusqu’à son fond ultime ; qui est le Soi, le Moi universel, transpersonnel, base de toute relation interpersonnelle comme de toute vie personnelle, depuis le moustique jusqu’à Dieu. Tous les êtres sont donc tous plus ou moins égoïstes, certes, mais à des degrés divers. Et cela fait une incommensurable différence. Car l’égoïsme inconditionnel est amour inconditionnel. Car en cet égoïsme, je reconnais en Moi le Moi universel, et je reconnais aussi en l’autre ce même Moi. A travers ce regard, ces gestes, ces paroles… Un Moi en d’innombrables corps, dans d’innombrables mondes. C’est la reconnaissance (pratyabhijnâ) du mystère universel (îshvara) en soi (âtmani).

Utpala Deva a développé cette philosophie originale et puissante au Cachemire, vers l’An Mille, dans un poème du même nom. Cependant, quelle est sa motivation pour la partager ? N’est-il pas, lui aussi, égoïste ? Avide de reconnaissance, justement ? Oui, répond son commentateur, Abhinava Gupta, oui il est égoïste, comme tout être conscient. Mais il l’est à fond, il l’est en entier. Et donc, il ne l’est plus au sens ordinaire. Il ne demande plus rien, car il ne manque de rien, car il déborde de la plénitude du « je suis ». L’ego se transcende, c’est son mouvement naturel. Il est invincible ? Mais, oui ! Il est invincible parce qu’il est divin. Sache que « Je suis » et reste tranquille. Muet. Ebahi devant le mystère. Ouvert à l’Immense. Toute transparence, suspendue dans l’intemporel intervalle. 

Le remède à l’ego est l’explosion de l’ego. Assainir l’ego par le tout-à-l’ego. Indispensable. L’amour est un ego infini. L’égoïsme est un amour fini et donc inachevé. Le problème n’est pas l’ego, mais les limites de l’ego. Tel est le secret de l’Inde éternelle, mais aussi de la tradition abrahamique dans son meilleur. Le « je suis » est le Féminin de l’être. Le « je suis » est l’Acte, la pulsation fervente et absolument muette qui enseigne, guide et guérit. 

A méditer enfin, cette énigme d’Utpala Deva :

« Seigneur !

Toi seul tu es le Soi de chacun.

Or, chacun s’aime !

Ton amour est donc

accompli par nature.

Qui le sait devient le Maître. »



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