dans

Aveugles à la Lumière



 

Syméon le Nouveau théologien évoque l’illumination divine, « lumière qui éclaire tout homme » :

« Quel est ce redoutable mystère qui s’accomplit en moi ?
La parole ne peut l’exprimer, ni ma main l’écrire, la misérable, 
pour louer et glorifier Celui qui dépasse toute louange,
qui dépasse toute parole.

Ici, ma langue n’a point de paroles
et ce qui s’accomplit, mon intelligence le voit,
mais ne l’explique pas.
Elle contemple, elle désire le dire et elle ne trouve pas de mot.
Ce qu’elle voit est invisible,
entièrement dépourvu de forme,
simple, sans aucune composition, infini en grandeur.
En effet elle ne voit pas de commencement,
ne découvre jamais de fin
et ignore toute espèce de milieu :
comment donc dirait-elle ce qu’elle voit ?
C’est l’ensemble, récapitulé, 
à mon avis qu’on voit,
non certes par essence, mais par participation.
En effet, tu allumes un feu à un feu,
c’est le feu tout entier que tu prends,
et pourtant le feu reste, non partagé,
sans avoir rien perdu.

Il se lève en moi, au-dedans de mon pauvre coeur,
tel le soleil, ou tel le disque solaire
il se montre sphérique, lumineux, oui, tel une flamme. »

________________________

L’inspiration platonicienne est frappante, de part en part. C’est ici le soleil de Platon qui brille, l’Intellect Paternel de Proclus, la conscience pure, solaire, sphère parfaite. La sagesse grecque continue de résonner. Pour se protéger, Syméon se disait « illettré ». Mais il est manifeste qu’il avait lu les platoniciens. Il chante comme un pseudo-Denys, en véritable adepte des mystères du Soleil invaincu, dans la langue des diadoques et avec leurs expressions. 

Cette lumière, elle est déjà en nous mais nous ne la voyons pas, aveugles. Elle est toujours déjà présente. Mais, comme elle est infinie, nul n’en atteindra jamais la fin :

« …comment atteindraient-ils la fin de ce qui n’a pas de fin, dis-moi ? »

Les humains sont aveugles :

« De même en effet que les aveugles, 
alors que le soleil brille,
bien que tout entiers baignés de sa clarté,
passent leur vie hors de la lumière 
dont ils sont séparés par les sens et la vue,
de même dns le Tout (lui) la divine lumière de la Trinité,
et au milieu de cette lumière les pécheurs enfermés dans les ténèbres
sans voir, sans aucun sens divin,
mais brûlés dans leur conscience
et condamnés, connaîtront l’indicible affliction
et la douleur sans nom, pour l’éternité. »

(Hymne I, trad. Paramelle)

________________________________

Ici, Syméon part bien de Jean, le plus grec des Evangiles : la lumière brille déjà. Mais il affirme que nous sommes séparés de cette lumière par les sens, alors que le Tantra pointe la lumière jusque dans les « ténèbres » des cinq sens. Nous ne sommes pas aveugles parce qu’un sens nous manque, celui de la vue, mais parce que nous ne reconnaissons pas la « Lumière divine » dans la lumière présente de la perception, de la conscience.

De là, le myste glisse vers l’Enfer. Cet hymne, le premier de son recueil, n’en finit pas d’évoquer les damnés, condamnés aux ténèbres pour l’éternité, une « douleur sans nom ». Rappelons que tous les Chrétiens n’ont pas adhéré et n’adhèrent pas à ce dogme. Selon certains, tous seront « sauvés » dans la Lumière. En effet, si la Lumière est éternelle, on voit mal comment l’Enfer pourrait l’être.  

Pourtant, le corps peut être transformé en lumière :

« Je me suis uni, je le sais, également à ta divinité
et suis devenu ton corps très pur,
membre brillant, membre réellement saint,
membre resplendissant, transparent, lumineux.
Je vois la beauté, je considère l’éclat,
je reflète la lumière de ta grâce ;
et je contemple avec stupeur cette splendeur indicible,
je suis hors de moi en pensant à moi-même :
ce que j’étais, ce que je suis devenu – ô merveille !
Je prends garde, je ressens devant moi-même un respect,
une révérence, une peur, comme devant toi-même,
et je ne sais que faire, devenu tout timide,
où m’asseoir, de qui m’approcher
et où poser ces membres qui sont les tiens,
à quelles œuvres, à quelles actions, ces membres
je pourrais bien les employer, redoutables
qu’ils sont et divins.
Donne-moi de parler, et aussi de faire ce que je dis,
ô mon Artisan, mon Créateur, mon Dieu ! » (II)

_____________________________________

Malgré tout cela, une vision négative du corps et de l’humanité l’emporte. Le corps est impur et les pécheurs finiront dans l’Enfer pour l’éternité. On peut se demander si Syméon n’était pas, comme le pseudo-Denys, un platonicien qui s’est fait passer pour un Chrétien afin de survivre et de transmettre. Toutefois, la vision négative du corps est platonicienne aussi.

En réalité, la Lumière éclaire tout ce qui advient, tout ce qui fleurit et se fane. Elle est  absente jusque dans sa présence et présente jusque dans son absence.



Source link

Qu'en pensez-vous?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Rédiger par Blog de David Dubois

La Vache cosmique, blog philosophie de David Dubois

 » L’attente est une forme de mièvrerie, un irrespect envers l’instant. Elle sous…

Adyashanti – Le « Silence » (Sous-titrée en français)